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L’adjectif ithyphallique du grec ithuphallos, désigne ce qui est relatif
au pénis en érection (1).

Le culte voué au phallus est très ancien et véritablement universel.
On le retrouve sous une forme ou une autre dans toutes les cultures
humaines. Apparu au Néolithique, il a subsisté jusqu’à l’avénement du
christianisme en Europe, et il est encore pratiqué au Japon. Toutes les
grandes religions antiques avaient leurs dieux péniens : Priape, Dionysos
et Hermès en Grèce, Bacchus à Rome, Osiris et Amon en Egypte,
Shiva en Inde. « Considéré comme une amulette, comme un fétiche
portatif, le Phallus recevait le nom de fascinum, et était d’un usage très
fréquent chez les Romains. [...] C’était ordinairement une petite figure
du Phallus en ronde-bosse, de différente matière ; quelquefois, c’était
une médaille qui portait l’image du Phallus. On les pendait au cou des
enfants et même ailleurs. On les plaçait sur la porte des maisons et
des édifices publics : les empereurs, au rapport de Pline, en mettaient
au-devant de leurs chars de triomphe. Les vestales, lorsqu’on célébrait
des sacrifices à Rome, leur rendaient un culte (2). »
 


Amulette Ivoire, Cambodge ou Thaïlande • Phallus pour la danse (rituel agraire de fertilité) Mozambique • Sujets mystérieux peints, Égypte • Etui pénien, ou « bagayou » de parade. Nouvelle Calédonie.
 

L’omniprésence du phallus dressé inscrit de manière physique dans
l’espace urbain et social l’affirmation sans cesse répétée du pouvoir
masculin, dont il est l’étendard et le symbole. Celui qui porte l’amulette
ithyphallique montre la religion à laquelle il se soumet. Pourquoi
affirmer sans cesse ce pouvoir ? Sans doute pour conjurer la menace
qui pèse sur lui : « L’homme n’a pas le pouvoir de rester érigé. Il est
voué à l’alternance incompréhensible et involontaire de la potentia et
de l’impotentia. Il est tour à tour pénis et phallos (mentula et fascinus).
C’est pourquoi le pouvoir est le problème masculin par excellence parce
que c’est sa fragilité caractéristique et l’anxiété qui préoccupe toutes
ses heures (3). »
 


« Le Dieu Priape », Jean jacques Lequeu, 1786. • « Moschino », Erwin Olaf, série « Fashion
victims 000 » • Sculpture de Takashi Murakami • Le Presse-Papier, Man Ray • Penis pills, Dana Wyse
.
 

En Grèce ou à Rome, femmes et jeunes gens indifféremment sont
des objets que l’homme peut posséder sexuellement. « Deux voies
s’offrent au désir des hommes face à la prédation du corps féminin : ou
bien le rapt avec violence (praedatio), ou bien la fascinatio intimidante,
hypnotique. [...] Le mot phallus n’existe pas [dans l’empire romain].
Les Romains appelaient fascinus ce que les Grecs nommaient phallos.
Dans le monde humain, comme dans le règne animal, fasciner
contraint celui qui voit à ne plus détacher son regard. Il est immobilisé
sur place, sans volonté, dans l’effroi (4). »
 


Bioprick, Joep Van Lieshout • Le Pouce, Cesar • Arsène Lupin (Romain Duris) • Publicité pour un concessionnaire Porsche.
 

Si le culte du phallus nous paraît aujourd’hui exotique, il n’est pourtant
pas besoin de chercher très loin pour lui trouver des équivalents
modernes. Une très grand nombre d’architectures et de produits de
consommation utilisent des formes phalliques. Cette subsistance du
rôle symbolique le plus primitif est tellement banale qu’on oublie généralement
de l’interoger au-delà du simple clin d’oeil entendu. Comment
se fait-il, par exemple, que « les objets péniformes sont en général à
usage masculin : armes à feu, voitures, fusées, cigares, gratte-ciel (5) » ?
Contrairement aux représentations du nu féminin, qui sont des objets
de désir, destinés au sexe opposé, le phallus dressé et ses symboles
ne sont pas destinés aux femmes. Ce ne sont pas des objets de désir
mais de pouvoir, destinés avant tout à impressionner les autres hommes
et à gagner la compétition sexuelle. En s’appropriant des objets
phalliques, l’homme s’attribue des preuves de pouvoir.
 


Grand menhir de Locmariaquer (Bretagne) • Projet de gratte-ciel (Future Systems) • Collection privée • www.love-to-love.com
 

Les objets péniformes actuels ont encore pour fonction d’affirmer le
pouvoir masculin, mais leur signification est brouillée par l’évolution
de la société. La domination masculine existe encore, mais elle a
perdu un peu de son absolu. Les femmes et les enfants ne subissent
plus aussi passivement la « fascination » du pénis. Le phallus
dressé n’est plus seulement un symbole de pouvoir et de domination,
mais devient un objet sexuel. On voit apparaître des représentations
érotiques de l’homme, destinées aux femmes, ce qui aurait été insolite
il y a seulement dix ans. Les femmes ont commencé à apprivoiser le
phallus, elles se l’approprient symboliquement, s’en servent de jouet,
le désacralisent, lui ôtent son aura. C’est particulièrement clair dans
la tendance récente des « sex toys », où l’aspect ludique est mis en
avant de manière explicite.

Une nouvelle signification du phallus dressé est en train d’apparaître
qui mélange le symbolisme primitif de la puissance de domination
et une imagerie érotique émergente. Le pénis est aujourd’hui à la fois
incarnation du pouvoir dominant et jouet érotique, désirable, érotisé,
docile.

 

Stéphane Degoutin

 

(retour) 1. « [itifalik] adj.; XVIe; de ithyphalle, du grec ithuphallos "énis en érection". Didact. (Antiq. gr.) Relatif au phallus en érection. – Statue ithyphallique, d’un personnage représenté en état d’érection. » (Le Petit Robert)

(retour) 2 . Jacques-Antoine Dulaure, Les divinités génératrices (1825).

(retour) 3. Pascal Quignard, Le sexe et l’effroi, Paris, Gallimard, 1994, pp.82-83.

(retour) 4. Ibid.

(retour) 5. Maggie Paley, Le pénis dans tous ses états, p.15