La Défense est un parc d'attractions
qui s'ignore
 
Stéphane Degoutin
 
 
La Défense: an amusement park
ignorant of itself

 
Stéphane Degoutin
 
 

Loin d’être un quartier rationnel, fonctionnel, international ou moderne, la Défense est un lieu magique, plein de zones de liberté et de potentiel : un lieu d’agréments.

 

La Défense, the office district of Paris, was intended to be modern, rational, functional, and international. The reality is very different: La Défense is a magical place, full of grey areas, allowing free uses: a pleasure garden.

 

Sur-planification
Cela paraît difficile à croire aujourd’hui, mais La Défense a bel et bien été conçue pour rationaliser les circulations. Ici a été expérimenté à l’extrême le principe fondamental de l’architecture moderne, que Michel Houellebecq définit comme «un immense dispositif d'accélération et de rationalisation des déplacements humains» (MH, Interventions).

La Défense est le lieu où ce dispositif est devenu fou.

La multiplication des circulations y atteint un degré piranésien : profusion infinie de passerelles, couloirs souterrains labyrinthiques, espaces variés et ouverts: un dédale tridimensionnel. La Défense incarne le chaos qui naît d’une surenchère permanente de planification.

 

Over-planning
Even if it is difficult to believe, La Défense was planned to rationalize the traffic of motorized vehicles and pedestrians. Here has been experimented on a large scale the fundamental assumption of modern architecture, which has been defined by Michel Houellebecq as «a huge apparatus to accelerate and rationalize human movements» (MH, Interventions).

La Défense is where this apparatus has gone crazy.

The profusion of lanes and paths, skyways, labyrinthic subterranean corridors, varied open spaces... has reached a piranesian degree: an infinite, three-dimensional dedalus. La Défense embodiesthe chaos generated by a continuous escalation in urban planning.


 

Le prix de la pureté
L'Esplanade (=la dalle) est l’espace moderniste par excellence: très large, ouvert sur le ciel, totalement séparé du trafic motorisé et libre de toute fonction prédéfinie. La vue est dégagée et la disposition des bâtiments répond à une logique simple (l’Axe Historique, qui est presque un objet religieux pour les urbanistes de La Défense), soulignée par des points de repère (l’Arche, le CNIT, l’Arc de Triomphe au loin, le quadrillage au sol). A l’intérieur de ses limites, rien n’interrompt la circulation des piétons.

Mais pour qu’existe cet espace pur, il a fallu rejeter autour tout ce qui gênait (voitures, bus, espaces techniques, espaces servants, parkings souterrains, terrains non affectés, sorties de secours, gestion des ordures...) – d’où la prolifération d’espaces résiduels, non pensés, mal circulants, mal aérés.

La zone aux parcours extrêmement explicites a donc généré autour d’elle une zone labyrinthique extrême. Dès que l’on s’éloigne de l’esplanade, l’espace se rétrécit, les dénivellations et les cassures se font plus fréquentes. La dalle n’est jamais vraiment plate, elle n’est qu’une suite de brisures, d’escaliers, de pentes…

Comme projetés vers l’extérieur, ces morceaux de dalles butent sur le boulevard circulaire comme sur une enceinte de château fort qui protège La Défense de son contexte immédiat, la banlieue ordinaire.

 

 

The price for purity
The "Parvis", a huge concrete platform built upon the roads, parking spaces and train station, is the modernist space par excellence: very large, open to the sky, completely separated from the motorized traffic, and free from any specific function. The buildings around it obey to a simple logic (the Historical Axis, almost a religion for the urban planners of La Défense). Inside the limits of the Parvis, nothing interrupts the free flow of the pedestrians.

But to make this pure modernist space real, it has been necessary to reject on the outside everything that could have been a disturbance (cars, public buses, subterranean parkings, trash disposals, unassigned lots, technical places, emergency exits...) – hence the proliferation of residual spaces.

The central zone generated around itself an extremely labyrinthic zone. As soon as one moves away from the Parvis, the space narrows, differences in levels appear more frequently. The platform is never really flat (as intended): it turns into a series of cracks, stairs and slopes.

As if they were projected to the outside, these fragments stumble upon the ring road that surrounds the site (the boulevard circulaire) as on the surrounding wall of a medieval castle that protects the district against its immediate context, the ordinary suburb.

/\ Les points bleux correspondent aux photos géolocalisées sur Panoramio / Google Earth. Ils redessinent très nettement ce que les urbanistes ont donné à voir: l'axe historique et l'esplanade (l'équivalent pour La Défense de la Main Street de Disneyland), en évitant systématiquement l'envers du décor.

 

/\ The blue dots indicate where pictures have been geolocalized by Panoramio users. They retrace very precisely the space that the urbanists wanted to show: the historical axis and the Esplanade (La Défense's equivalent to Disneyland's Main Street), avoiding the backlots of the modernist utopia.

La Défense est une île perdue au milieu du plancton urbain. La circulation sur le boulevard circulaire est rapide et dangereuse. Le flux continu du trafic enferme le quartier dans ce qui ressemble à un immense échangeur d'autoroute ou un immense rond-point, une montagne russe pour automobilistes, avec une débauche de montées et descentes, courbes, accélérations et décélérations... si bien qu'on s'imagine dans un vaste territoire, à l'échelle de cette profusion de routes. Mais en réalité, toutes ces boucles et ces dénivelés sont condensés dans un espace minuscule, collées les unes aux autres, se superposant, passant de sous-sol obscur en surplomb vertigineux, zigzaguant entre les tours, slalomant au milieu des entrées et sorties des parkings, communiquant entre eux à l'infini. Entre les trous laissés par cette tuyauterie de conducteurs aveugles, le quartier d’affaires s’insère comme la statue de vache au centre d'un rond-point, et on a parfois le sentiment, en tournant autour sans savoir comment y pénétrer, qu'il joue le même rôle: décoratif et inaccessible.

La liaison du quartier avec l’extérieur se réduit à sa plus simple expression. Soudain, il n’y a plus qu’une passerelle suspendue au dessus des voies de circulation, de morceaux de chantiers ou de parkings. Une fois la passerelle traversée, on se trouve au dessus de coins de banlieue qui, au contact du monstre, ont dérivé de sa forme, de manière plus chaotique encore.

Pour redescendre sur terre, on pénètre dans escaliers contenus dans d’étranges boîtes de béton, on descend à pied des escalators qui n’ont jamais fonctionné, on suit des chemins qui changent de direction de façon imprévisible, des escaliers ajoutés à la va-vite, des trottoirs de 50 cm. de large bordant des voies rapides ou traversant des parkings avant de remonter dans un jardin public…

Comme dans tous les bons romans de science-fiction urbaine, ses sous-sols abritent un monde parallèle: parkings, autoroute, centre commercial, stations de bus, centres de conférences internationaux, stations de métro abandonnées, atelier d’artiste, chapelle, cantines secrètes, voies de chemin de fer, salles vides dont on a oublié la destination… Ils sont habités par des SDF, des policiers, des travailleurs, des automobilistes, des squatters, des touristes égarés, des drogués, des photographes de mode, des ingénieurs…

La Défense is an island, lost in the midst of the urban plankton. Cars move quickly on the dangerous boulevard circulaire. Their continuous movement locks the district in what looks like a huge highway interchange or an out of scale roundabout, a roller coaster for cars offering a profusion of curves, accelerations and decelerations, going either up or down... so that one could think he is traveling in a vast territory. Yet in reality, all of this is condensed in a rather tiny space, where profound tunnels are sticked to vertiginous overhangs, zigzaguing between superimposed towers, slaloming between the subterranean parking entrances which are all connected together. In the spaces left between this blind drivers' plumbing, the business district appears like a cow statue at the center of a roundabout, and the driver who turns around with no clue how to enter, might see it the same way: decorative and unattainable.

Connections with the exterior are as reduced as possible. Suddenly, there is nothing left, except a skyway suspended above the highway, parts of a parking lot, or construction sites. Once on the other side of the skyway, one enters suburban landscapes which have derived from their own logic to that of the monster, to become even more chaotic.

Reaching the ground level implies to go through box-like concrete staircases, to walk on escalators which have never been in use, to follow paths that turn in new directions according to an unpredictible logic, quickly added 50cm wide sidewalks bordering highways or to walk through parking lots to enter a public garden...

Like in a good urban science fition novel, La Defense hosts a parallel universe in its vast underground spaces: parking lots, highways, commercial centers, bus stations, international conference halls, abandoned subway stations, artists studios, chapel, secret cafeterias, railway tracks, empty rooms which destination has long been forgotten... These spaces are inhabited by homeless people, policemen, workers, drivers, lost tourists, drug addicts, fashion photographers, engineers...

 


Golden Networks: Les Réseaux routiers de La Défense
(maquette Epad / photo S. Degoutin).

 

Tous les cent mètres, une logique spatiale nouvelle. On a voulu innover systématiquement, créer partout de nouvelles géométries architecturales, de nouvelles configurations urbaines, de nouveaux systèmes de repérage. Le résultat est une immense accumulation d’éléments disparates, reliés par des systèmes contradictoires. Pourtant les espaces n’apparaissent pas singuliers au visiteur: La Défense est une accumulation de nouveautés, toutes différentes et indifférentes.

C’est sans doute de là que le site tire une partie de son attrait. Il exerce en effet «la fascination des labyrinthes et des chambres secrètes, des passages sombres et des vertigineuses volées de marches […] ni un bâtiment ni une ville, mais une synthèse des deux, cette architecture fut conçue par des gens qui construisaient en s’en remettant à leur lumière intérieure et leur imagination vierge.» Cette description de Bernard Rudofsky (Architecture sans architectes), n’était pas destinée à La Défense, mais elle s’y applique parfaitement.

Du fait de toutes ces aberrations, La Défense échappe aux intentions de ses concepteurs. Le projet initial n'est jamais réalisé; et au lieu d'engendrer un quartier bêtement moderne, fonctionnel et bien composé, c'est un lieu magique qui est sorti de terre: un immense parc d'attractions en changement permanent, jamais conforme à ce que l'on attend.

Elle constitue un monde en soi, et reproduit "la forme première de la cité mythique: c’est une île qu’entoure un périphérique comme un fleuve" (Patrick Grainville). C’est un espace fantasmatique, plein d’objets magiques (arche, tours, collines de béton, voûte gigantesque, passerelles en plein ciel, souterrains obscurs…), totalement inintelligibles pour qui ne connaît pas leur origine.

 

Every two hundred meters, it's a new spatial logic. The search for constant innovation is evident in the spatial geometries, the urban configurations, the signage. As a result, one finds himself lost in an accumulation of ill-assorted elements, connected by a series of contradictory systems. Yet, nothing appears specific to the visitor: La Défense piles up novelties, all different and indifferent.

This might be the main reason for its attractiveness. It exerts «the fascination of labyrinths and secret chambers, of murky passages and vertiginous flights of steps - all the eternal mysteries of enclosed space [...] neither house nor town but a synthesis of both, this architecture was conceived by people who built according to their own inner light and untutored imagination». This description by Bernard Rudofsky, (Architecture without Architects) of a desert fortress in southern Morocco would suit La Défense perfectly.

Thanks to all these aberrations, Le Défense fails to respond to its planners intentions. The initial project has never been realized; and instead of giving birth to a dully modernist, functionnal and well organized district, a magical place has been created: a huge, ever changing amusement park, which never meets one's expectations.

It forms a world in itself, reproducing "the primal form of the mythical city: an island surrounded by the boulevard circulaire as it would be by a river" (Patrick Grainville). It is a fantastical space, full of magical ojects (arch, towers, hills of concrete, gigantic vault, footbridges in the air, obscure undergrounds...), which will remain impossible to understand for whom does not know their origin.

 

 

La Défense est un parc d'attractions qui s'ignore.
Elle offre des espaces de jeu immenses, déserts, et très peu surveillés. Certes, les tours elles-mêmes sont munies de portails infranchissables. Mais il reste une quantité d’espaces accessibles – souvent de très grandes dimensions – sous-sols, parkings, toits de certains immeubles… La plupart des parkings sont libres d’accès aux skaters, les espaces servants sont généralement accessibles, les vigiles tolérants.

La durée d’une promenade à La Défense est potentiellement infinie.

Assemblage poétique d’objets architecturaux, chambres secrètes, labyrinthe d’espaces tantôt souterrains tantôt aériens, parcours étranges… La Défense tient moins de l’urbanisme moderne que du collage surréaliste.

 

 

La Défense: an amusement park ignorant of itself
It offers huge, desert and uncontrolled spaces for leisure. Of course, it is impossible to enter the office towers without a proper badge. But there is a lot of accessible spaces still – often of very large dimensions – subterranean parking lots, buildings roofs, unused spaces... Most parking lots are easily accessible, devoid of any surveillance cameras. Most security guards are tolerant.

A promenade in La Défense is potentially infinite.

Poetic combination of architectural objects, secret rooms, subterranean or aerial labyrinths, bizarre promenades... La Défense looks more like a surrealist collage than a modern urban planned district.

 

© Stéphane Degoutin 1999-2009

Visite sans fin de La Défense avec Nogo Voyages.

La Défense sur Lost in Créteil

© Stéphane Degoutin 1999-2009

La Défense Endless Tour with Nogo Voyages.

La Défense on Lostincreteil.com